07 Oct 2020 Crise de la betterave et des néonicotinoïdes : quand les sucreries tournent au ralenti
La production de betterave, durement touchée par la jaunisse, est incertaine cette année. Les effets de cette maladie se font directement sentir sur l’activité des sucreries.
Alors que le débat s’ouvre lundi à l’Assemblée nationale pour savoir s’il faut à nouveau autoriser l’usage des néonicotinoïdes pour la culture des betteraves, sur le terrain, la récolte a commencé. Déjà, les sucreries, qui transforment ces betteraves en sucre, tournent au ralenti et les professionnels s’inquiètent pour l’avenir. À Nangis (Seine-et-Marne), la sucrerie Lesaffre est implantée depuis 1873. Son usine immense domine toute la commune. Pourtant, aujourd’hui, ses exploitants s’interrogent : survivra-t-elle à la crise qu’elle traverse actuellement ? La sucrerie Lesaffre se fait une fierté de ne travailler qu’avec des agriculteurs locaux, dans un rayon maximum de 20 km. Or tous, sans exception, sont touchés par la jaunisse de la betterave.
Mauvais rendements
Cette maladie est véhiculée par le puceron vert dont les larves ont proliféré grâce à un hiver bien trop doux. Une sucrerie fonctionne en moyenne 100 jours par an, le reste du temps est consacré à la maintenance. Pendant ces 100 jours de campagne, les betteraves arrivées à maturité dans les champs sont arrachées au fur et à mesure, déposées au bord des routes et transportées à la sucrerie qui tourne alors 24 heures sur 24 et sept jours sur sept pour produire le sucre.
Mais cette année, les projections font frémir. « Cette campagne s’annonce catastrophique », déclare sans hésitation Jean-Christophe Pierre, directeur du service betteravier de la sucrerie Lesaffre. Il peut comparer puisqu’il en est à sa vingtième campagne. Les chiffres qu’il avance donne une bonne idée de la situation : « En temps normal, on travaille ici un million de tonnes de betteraves, cette année ce sera autour de 300-350.000 tonnes. En temps normal, une betterave pèse entre 600, 650 grammes, aujourd’hui on est aux alentours de 200/250 », détaille-t-il.
Et ce n’est pas tout : le taux de sucre qui pourrait compenser la baisse de poids est lui-aussi en baisse. Au lieu des 18, 19% habituels, il s’élève plutôt à 16%.
Conséquence évidente, la sucrerie pourrait perdre cette année les deux tiers de son chiffre d’affaire qui s’élève habituellement à 40 millions d’euros par an. « Cette année, on va arriver à absorber, parce que nos comptes sont bons », anticipe Jean-Christophe Pierre. « Mais une telle campagne, une fois ça ira, pas deux, c’est sûr. »
L’économie locale menacée
La sucrerie Lesaffre travaille avec 350 agriculteurs de Seine-et-Marne. Elle compte une centaine de salariés permanents et cinquante saisonniers. En comptant les fournisseurs et les transporteurs, elle fait travailler 250 personnes à temps plein par an. Et se fait là aussi une fierté de ne travailler qu’avec des salariés et des entreprises en proximité immédiate. Mais avec la chute des rendements de betteraves – cette campagne est si maigre qu’elle ne devrait durer que 45 jours au mieux au lieu des 100 habituels – se pose la question de l’emploi, aussi bien des titulaires menacés de chômage partiel, que des saisonniers.
Que dire aussi des transporteurs qui s’attendent déjà à perdre 25% de leur chiffre d’affaire annuel… C’est toute l’économie locale qui est ébranlée. Au-delà même de ce que l’on peut imaginer puisque, à la sortie de l’usine, ce qu’il reste de la betterave, la pulpe, sert à nourrir en exclusivité les élevages laitiers du secteur, pour les AOP Brie de Meaux, Brie de Melun. Il va donc leur manquer cette année les deux-tiers de cet aliment, créant là-aussi une crise alimentaire dans les cheptels.
Avenir incertain
Ce qui inquiète également les exploitants de la sucrerie, c’est la prochaine campagne, celle de 2021. Si les agriculteurs, qui accuseront des pertes sèches sur leur récolte de betteraves cette année, décident de ne pas tenter le diable une nouvelle fois et renoncent à en semer. « Une sucrerie, c’est une industrie lourde, la plus lourde de toute l’industrie agroalimentaire », compare Jean-Christophe Pierre, « avec des machines qui coûtent très cher à l’achat, puis en entretien et en énergie ».
« Pour qu’elle soit rentable a minima, il faut des campagnes de 50 à 60 jours. Si on n’a pas ça au moins, on ne se lancera pas. Et une sucrerie qui ne tourne pas un an » prédit-il, « c’est une sucrerie qui ne tournera plus jamais ».