16 Avr 2020 Point de vue : crise sanitaire, agriculture et migrations
Pascal Lamy, ancien directeur de l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC), nous vantait dans les années 1985 lors de réunions publiques la théorie de Ricardo dite des avantages comparatifs. Elle inspira le libre-échange, objectif premier de l’OMC, qui devait conduire en principe à une spécialisation des pays dans un système harmonieux d’échanges commerciaux pour le plus grand bien de l’humanité.
Cette théorie peut s’appliquer dans le domaine de l’industrie mais cette perspective est totalement irréalisable dans le domaine de l’Agriculture pour de multiples raisons : tout d’abord pour la sécurité quantitative avec la gestion des stocks mais aussi pour la sécurité qualitative avec le contrôle des états de la qualité et de la circulation des denrées alimentaires.
Cette mondialisation de l’agriculture, c’est aussi la mondialisation des maladies et des parasites et le laissez faire de l’OMC ne convient pas aux lois de la nature. Nous le savons très bien avec le Fonds de mutualisation sanitaire et environnemental (FMSE), où l’état s’est déchargé sur les agriculteurs de l’aspect sanitaire dans le domaine végétal et animal. A tout cela s’ajoutent de fortes incertitudes sur les conditions climatiques.
Dans son livre paru en 1993, Le piège, Jimmy Goldsmith critiquait le libre-échangisme mondial et la nécessité d’une démondialisation. Il annonçait que lorsque « toutes les barrières sanitaires seront tombées et qu’il y aura une grippe à New Delhi, elle arrivera dans le Berry ». Voilà que le piège se referme et nos élites comprennent à présent que les virus, maladies et autres bactéries n’ont pas besoin de passeport !!!
L’Accord de Schengen, signé en 1985, première victime du Coronavirus et totem absolu de la libre circulation, n’intéresse plus personne et le mur de Maastricht vient de tomber avec le confinement et la mise sous cloche de plus de 50 % de l’économie mondiale, tel un canard sans tête et sans cervelle !!!
Dans le domaine agricole, notre chef d’état toujours prompt à signer les accords de libre-échange affirmait il y a peut : « déléguer notre alimentation, notre protection, notre capacité à soigner, notre cadre de vie au fond, à d’autres, est une folie ». La notion de souveraineté reviendrait-elle en grâce? S’agit-il de souverainistes d’opportunité quand on entend Bruno Le Maire évoquer la notion de « souverainisme économique » et Didier Guillaume parler d’une « exception alimentaire » ?
Notre PAC, dans l’impasse, doit être renouvelée en profondeur et sans ceux qui nous ont précipités dans l’abime. Cette PAC est responsable des catastrophes sociales dans le monde entier, tout d’abord avec la disparition de nombreux agriculteurs en Europe mais aussi par nos exportations à bas prix ruinant ainsi les petits agriculteurs du Tiers-monde, les poussant ainsi dans les mégalopoles des pays émergents. Avec le confinement, mais sans le bénéfice du chômage partiel, ils ne peuvent que de fuir dans les campagnes d’origine pour éviter la famine (au détriment des ruraux en place, déjà forts démunis). Cet exode urbain massif sera-t-il définitif ?
Alors que nos avions sont cloués au sol dans les aéroports et nos automobiles dans nos garages, personne ne se soucie du prix du baril de pétrole. A la porte de l’Europe, des grands pays exportateurs dont leurs économies ne tiennent qu’avec l’Or Noir verront leur population fuir vers des cieux plus cléments. L’Europe a confié au président turque Erdogan le soin de garder sa frontière contre un pourboire de 6 milliards d’Euros. Si les flux deviennent trop importants, il décidera d’ouvrir ou pas les écluses.
Cette crise sanitaire économique et sociale va atteindre les plus faibles dans tous les pays. Le nouveau monde, que nous agriculteurs appréhendions beaucoup sans doute par notre sagesse, notre lien avec la terre matrice de la vie, reviendra vers un chemin plus heureux pour l’humanité.
Jean-Louis FENART (agriculteur dans le Pas-de-Calais, administrateur de FGC)