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TRIBUNE DE N. JAQUET DANS LES ÉCHOS : POUR UNE « EXCEPTION AGRICULTURELLE » EUROPÉENNE

Compétition internationale d’un côté, normes environnementales de l’autre : les agriculteurs français ne s’en sortent plus. Dans une tribune, Nicolas Jaquet, président de France grandes cultures, plaide pour que les produits agricoles sortent des accords commerciaux. Il propose la création d’une « exception agriculturelle » en Europe, sur le même modèle que la culture, pour protéger la qualité de nos produits.

En 1946, à la sortie de la guerre, 36,4 % des personnes en âge de travailler étaient dans l’agriculture. Une famille de paysans nourrissait deux autres familles. Aujourd’hui, seulement environ 2,5 % de nos emplois sont dans l’agriculture. Un agriculteur nourrit donc 40 familles.

On ne peut pas demander à nos paysans plus qu’ils ne font. Ils travaillent plus de 50 heures par semaine, prennent peu de vacances et ont un revenu inférieur au SMIC. Et Le nombre d’agriculteurs va encore fortement diminuer dans les prochaines années car ils sont âgés et, même dans les grandes fermes du bassin parisien, les enfants ne prennent plus la suite des parents qui ne gagnent plus leur vie.

TERRIBLE COURSE À LA COMPÉTITIVITÉ

Nos politiques cherchent à détourner l’attention des grandes productions agricoles en mettant en avant des exemples caricaturaux comme le piment d’Espelette ou le bio. Ces belles réussites sur des marchés de niches ne feront jamais vivre des centaines de milliers d’agriculteurs et n’assureront pas une autosuffisance alimentaire.

Ce qui élimine la majorité de nos paysans ce sont les prix agricoles trop bas qu’ils subissent via l’ouverture des frontières extérieures de l’Union européenne, les mettant en concurrence avec des pays producteurs plus compétitifs ou qui pratiquent du dumping. Citons la viande d’Argentine, le blé russe, le soja.

Face à cela, nos filières agricoles où prédominent les intérêts de l’import/export, exigent de nos paysans encore plus de compétitivité. On leur demande de continuer à augmenter les rendements, en utilisant encore plus d’engrais, de pesticides et pourquoi pas des OGM ou des hormones ! Mais là, la société civile a déjà dit : stop ! Les agriculteurs se retrouvent maintenant écartelés entre deux exigences contradictoires : la compétitivité sur le marché mondial face au moins disant et les contraintes environnementales dont l’impact financier est déjà trop lourd.

RÉFLÉCHIR AVANT D’INTERDIRE

Dans cette situation de fragilité économique et sociologique des agriculteurs, il est dangereux de continuer à casser du sucre sur leur dos comme le font des organisations environnementales qui militent pour la suppression des produits de protection des plantes. Elles vont finir par faire disparaître l’agriculture familiale.

Comment notre population se nourrira-t-elle ? Avec des importations de pays dont les normes de productions sont bien inférieures aux nôtres. C’est déjà le cas avec les légumes secs ou le soja et le maïs pour l’alimentation du bétail. S’il n’y a plus de paysan, ce seront les coopératives qui produiront, avec des prestataires qui travailleront jour et nuit dans les champs.

Vouloir interdire l’utilisation des pesticides à moins de 150 mètres des maisons serait financièrement insupportable pour nos agriculteurs et finirait par les achever. Il ne faut plus mettre la charrue avant les bœufs : si l’on veut être plus exigeant envers nos agriculteurs, il faut remettre les choses en ordre. Comme dans les autres professions, il faut demander des devis à nos paysans pour qu’ils chiffrent leurs coûts face aux cahiers des charges que les consommateurs et les pouvoirs publics leur présentent.

A partir de là, ils pourront prendre le risque de supprimer herbicides et fongicides sur une culture de blé, sachant que le rendement chutera au moins de moitié. Il faudra donc au minimum doubler le prix du blé pour que les paysans ne soient pas perdants. Pour le consommateur, cela se traduira par une augmentation de 3 centimes de la baguette de pain, soit moins que la différence qu’il peut y avoir entre deux boulangeries voisines. Le contribuable y gagnera car le budget d’une politique agricole commune inefficace pourra être fortement réduit.

PROTÉGER LA QUALITÉ

Pour arriver à cela, il faut sortir les produits agricoles des accords commerciaux – comme la culture – afin que l’Europe puisse retrouver une souveraineté en matière de politique agricole. Nos productions agricoles ne doivent plus être considérées comme des «commodités», c’est-à-dire des matières banalisées, sans lien au territoire et dépourvues de caractéristiques sociale ou environnementale. A l’image de l’exception culturelle leur qualité doit être protégée par une exception agriculturelle.

Nos concitoyens urbains doivent prendre conscience que s’ils ont des métiers intellectuels, dans le tertiaire, la santé, l’enseignement ; c’est parce qu’ils ont délégué à ceux qui sont restés aux champs, la production de nourriture. Vouloir interdire trop vite et sans contrepartie, certaines innovations qui ont contribué au développement économique du pays en libérant des bras de la terre, relève d’une sorte de négation historique et est ressenti comme du mépris par les agriculteurs.

Nicolas Jaquet

Paysan bio, président de France grandes cultures

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